Expérience énergétique du futur: Perspective 2040
Nous voici à l’aube d’une nouvelle décennie, 2040 est arrivée et nous plongeons à la découverte d’une planète prospère qui a surmonté les problématiques énergétiques auxquelles elle faisait face. Des énergies renouvelables produites en abondance, une disparition des énergies fossiles et des innovations technologiques sont le cœur de la vie en 2040.
Table de contenu
Arnaud Zufferey
Ingénieur EPFL, « artisan de la transition
énergétique » et fondateur de Olika
Une journée comme les autres pour les Dumoulin
La nuit est bien obscure en ce matin du 10 février 2035. Les étoiles brillent dans le ciel dégagé et le peu de lumière visible dans la rue provient de l’éclairage dynamique en veille. Il ne tardera pas à s’activer au passage des premiers piétons : leur chaleur mouvante ne saurait échapper au système de détection infrarouge, au milieu de ce froid immobile et silencieux.
Comme chaque matin à 6h45, la douce musique prend le relais du simulateur d’aube dans la chambre des Dumoulin. Jules ouvre un œil, étire son bras en baillant et prend machinalement son smartphone sur le chargeur à induction de sa table de chevet.
L’écran s’allume. Jules se frotte les yeux, le flou se dissipe et les notifications apparaissent. La météo s’annonce radieuse. La box a donc coupé le chauffage dès 5h30 et prévu de lever les stores de la façade Sud dès les premiers rayons du soleil à 7h42. Avec l’inertie du bâtiment, la température va baisser de manière imperceptible jusque-là. La main chaude et douce d’Anna sur son épaule le sort de ses pensées…
Rien de tel qu’une douche pour se reconnecter avec son corps. Le nouveau pommeau brumisateur, réglé sur 38 degrés, l’enveloppe d’une fine pluie de vivifiantes gouttelettes. Difficile de croire qu’il consomme trois fois moins d’eau que l’ancien. Une pression sur le côté du tuyau de douche et la pression s’interrompt, le temps de profiter des parfums du savon. Humeur lavande ou vanille ? La cascade bienfaisante reprend et on en oublierait presque les bases de la sobriété s’il n’y avait pas cette diode rouge qui indique que le temps raisonnable est écoulé. A peine dix litres d’eau chaude ont été extraits du chauffe-eau et la pompe à chaleur devrait remonter la température vers 9h30 pour maximiser l’autoconsommation du solaire photovoltaïque. Jules ne s’occupe de rien, à part se sécher, bien entendu.
La pizza, cuite à la perfection, symbolise la fin d’une journée où technologie et durabilité se sont harmonieusement entrelacées
Anna est toujours la première à la cuisine et les interrupteurs intelligents l’ont bien enregistré. La machine à café est reconnectée juste à temps. Fini les stand-by, fini le gaspillage. Enfin, à part pour le pain qui sèche et le beurre qui fond, malgré les rappels à Juliette. Personne n’est parfait.
Jules a beau être un technophile convaincu, il n’a jamais pu se passer de son agenda papier sur lequel il aime griffonner ses notes. Il dit que c’est un prolongement de son cerveau et ça fait rire tout le monde. La box ne peut pas optimiser ses déplacements, mais il le fait très bien tout seul. D’ailleurs aujourd’hui il n’y a pas de longs trajets au programme. Le quadricycle électrique suffira pour ses courts déplacements à Sion et environs.
Jules aurait pu en profiter pour déposer Juliette près du collège, mais elle préfère prendre la navette autonome avec sa meilleure amie. Jules n’est pas dupe, c’est surtout la présence de Tristan qui motive ce choix, mais il a promis à Anna de ne pas s’en mêler…
La voiture électrique restera au garage aujourd’hui. Elle se rechargera au solaire ou avec le réseau en fonction du tarif du jour. C’est le travail de la box d’optimiser tout ça, chacun son job. Le travail d’Arturo, le chat, est de veiller sur la maison pendant la journée. Mais après une nuit mouvementée et un bol de croquettes, c’est plutôt la sieste qui va l’occuper.
Les cours, séances, téléphones, rendez-vous s’enchaînent sans interruption. Jules dirait que la journée a filé comme une descente sur un toboggan. Vers 18h, le soleil est déjà couché lorsque la famille se retrouve au complet au domicile.
Ce soir, deux amies de Juliette viennent pour une pizza party à la maison. Chacun prépare sa pizza selon ses envies. Sauce tomate, mozzarella, jambon, champignons : c’est homologué. Mais ananas, c’est pas interdit ? La box interrogée répond que non, mais Jules reste sceptique. Pendant ce temps le four tourne à pleine puissance, heureusement que les batteries ont eu tout l’après-midi pour se recharger !
C’est bientôt l’heure de se coucher. Jules constate que la maison est autonome depuis 5 ans. Il se lance avec enthousiasme dans une explication sur la complémentarité de la sobriété et de l’efficacité. Anna fait semblant de s’y intéresser et en profite pour lui rappeler que la St-Valentin c’est dans 4 jours. Jules grommelle, se retourne sur le côté et s’enfonce dans son oreiller. La douce lumière de la liseuse d’Anna éclaire encore un petit moment la chambre, avant que la nuit et le silence reprennent leurs droits.
Énergie et technologie, une fusion sans frictions
Si la famille de Jules est aussi apaisée et s’épanouit autant dans son quotidien, c’est parce que le monde se trouve loin d’une période de changements majeurs, nous constatons l’aboutissement de toutes ces innovations qui, un jour, ont été révolutionnaires.
Lorsque l’on pense à l’énergie, il est maintenant impossible de la dissocier de la technologie, c’est le résultat de longues années d’innovations et de recherches qui ont permis de créer cette symbiose. La découverte de nouveaux matériaux ne nécessitant plus des terres rares a permis de stopper l’appauvrissement des sols et la pollution massive de l’environnement, accélérant la production d’énergies renouvelables.
Avec en ligne d’horizon 2050 un renforcement des interactions énergétiques entre les milieux urbains et ruraux
La disponibilité de l’énergie n’est plus un problème, des structures de stockage d’énergie sont présentes un peu partout en Suisse, mais aussi dans le monde entier, sous la forme de batteries mécaniques à grande échelle. Elles exploitent la gravité pour produire de l’énergie ou stocker de l’énergie. À l’instar d’un ascenseur, des blocs de béton de plusieurs dizaines de tonnes sont montés grâce à l’énergie solaire et éolienne alentour pendant les phases de production d’énergie.
Un pic de consommation est prédit par le système de gestion et instantanément, ces mêmes blocs sont ensuite lâchés en exploitant la gravité pour produire de l’énergie cinétique qui est convertie en électricité avant d’être distribuée sur le réseau conjointement avec les barrages valaisans qui se mettent à fournir de l’électricité pour assurer une fluidité d’approvisionnement.
Les bâtiments sont de véritables forteresses énergétiques positives, ils sont construits avec une isolation à haute efficience qui laisse peu de pertes thermiques, leurs toits plats sont équipés d’éoliennes cylindriques sur lesquelles sont montés des panneaux photovoltaïques. Ces grandes vitres que nous avons l’habitude de voir sur tous les bâtiments, sont en réalité des panneaux photovoltaïques complètement transparents. Ils protègent des rayons UV et infrarouges tout en produisant une grande quantité d’électricité, optimisant l’espace disponible pour garantir une autosuffisance énergétique. Le petit plus de tout ça, c’est que chaque bâtiment produit sa propre énergie, mais que si cela ne lui suffit pas, les structures voisines peuvent prendre le relais pour l’alimenter avec leur excédent produit !
L’énergie en Suisse
Avec en ligne d’horizon 2050 un renforcement des interactions énergétiques entre les milieux urbains et ruraux, la société suisse fonctionne déjà entièrement avec des énergies décarbonées. Un engagement tenu il y a déjà cela quelques années. L’hydroélectrique, qui était la colonne vertébrale de la stratégie énergétique de la Suisse, est toujours présent, mais a laissé sa place centrale au photovoltaïque. Les différentes énergies renouvelables coexistent dans un équilibre harmonieux et se complètent les unes les autres.
UN MONDE MÉTAMORPHOSÉ
Avec l’émergence d’une nouvelle approche géostratégique et les réformes sociales qui en ont découlé, une nouvelle organisation mondiale s’est mise en place.
Les grandes puissances comme la Chine et l’Europe ont investi massivement dans la transition énergétique il y a plus de 15 ans, leur permettant de mener la recherche et de donner vie à toutes ces innovations énergétiques. Plus il y avait d’avancées technologiques, plus la production était efficace et donc plus le coût de l’énergie baissait. Grâce à la découverte de matériaux et technologies ne nécessitant pas de ressources rares et dont l’efficacité énergétique dépassait toutes les attentes et ont aidé à surmonter certains enjeux économiques et écologiques. Comme par exemple, de nouveaux isolants, l’utilisation de matériaux éco-conçus, le développement de batteries ménagères…
L’industrie a pu prendre un tournant majeur pour assurer la décarbonation de la production d’énergie renouvelable. La Chine a grandement participé à la réduction des coûts des composants essentiels à la transition énergétique, dont le prix des batteries, mais de nombreux autres acteurs, comme la Suisse, ont performé dans un contexte d’entraide global. Un élan international soutenu par les grandes puissances mondiales a permis aux pays en cours de développement de réaliser une transition énergétique bien plus rapide et notamment bien plus respectueuse de l’environnement.
L’industrie a pu prendre un tournant majeur pour assurer la décarbonation de la production d’énergie renouvelable.
De plus, avec une production d’énergie renouvelable abondante, le monde a vu le prix de l’énergie baisser, d’abord progressivement, puis très rapidement pour atteindre un palier très faible. Elle est accessible à tous à moindre coût entraînant une restructuration économique et sociale, de nouveaux modes de vie et de consommation voient le jour pour une société plus durable et totalement décarbonée.
La Suisse a changé ses importations et exportations, réduisant sa part d’exportation de produits à haute valeur ajoutée tout en privilégiant la production locale de certains produits à faible valeur ajoutée qu’elle importait auparavant. En parallèle, le développement de la production énergétique a garanti une indépendance énergétique et un meilleur contrôle de sa consommation.
C’est un monde dont l’essence est complètement changée qui s’offre à nous et dans lequel prouesses technologiques riment avec avenir écologique !
Christophe Ballif
de l’EPFL et du CSEM, expert renommé dans le
domaine de l’énergie
« Et si la Chine sauvait la transition énergétique mondiale? »
L’évolution récente du paysage énergétique mondial suggère une question provocante : et si la Chine jouait un rôle clé dans la sauvegarde de la transition énergétique mondiale ? Les progrès significatifs en Suisse, observés en 2023 et projetés pour 2040-2050, offrent une perspective éclairante sur cette possibilité.
En 2023, la Suisse a installé plus de 1,5 giga watts en panneaux solaires, une capacité remarquable, surpassant largement les quelques centaines de mégawatts des années précédentes (332 en 2019, et 1126 en 2023 déjà année record)… Cette avancée reflète une tendance mondiale vers des sources d’énergie renouvelables.
À l’horizon 2040-2050, la Suisse envisage une société fonctionnant principalement sur de l’énergie décarbonée. Cette transition implique une augmentation substantielle de la consommation d’électricité, estimée entre 50 à 70%, pour remplacer les énergies fossiles. Globalement cela amène à une réduction finale de la quantité d’énergie utilisée de plus de 50%, grâce en particulier au rendement bien meilleur des pompes à chaleur et des voitures électriques, deux des piliers technologiques de la transition. Dans ce contexte, les énergies renouvelables apparaissent comme la solution la plus abordable et la plus efficace pour fournir rapidement l’électricité nécessaire.
L’hydroélectricité demeure bien sûr la colonne vertébrale de cette stratégie, mais le photovoltaïque devrait rejoindre ou surpasser l’hydroélectricité en termes de production annuelle. Même si hydraulique et solaire se complètent bien, un défi majeur reste le creux énergétique hivernal, lorsque la Suisse consomme le plus. En plus d’une légère extension de l’hydraulique, la Suisse envisage d’utiliser l’éolien et le photovoltaïque alpin pour pallier une partie de ce déficit. La productivité hivernale excellente de l’éolien devrait d’ailleurs, idéalement être beaucoup mieux exploitée : beaucoup plus de vent et un peu moins de solaire serait idéal… La biomasse, les déchets et l’hydrogène, bien que ce dernier ne soit pas encore économiquement compétitif, permettront de fournir un appoint et des réserves pour les moments cruciaux.
La Suisse, avec son engagement envers les énergies renouvelables, illustre le potentiel de cette transition.
Un autre axe intéressant est le développement de solutions de stockage saisonnier d’eau chaude pour l’hiver. Et bien sur L’efficacité énergétique joue également un rôle important, avec l’isolation des bâtiments, qui permet également de réduire la dépendance hivernale, la réduction du gaspillage énergétique par les appareils électriques mal adaptés, et la prise en mains de la consommation d’infrastructures cachées(pompes de circulations, systèmes de ventilation) qui représentent plusieurs pour cent de la consommation électrique actuelle. En plus de tous ces gains d’efficacité, un changement de comportement des consommateurs vers une plus grande sobriété énergétique, c’est-à-dire utiliser véritablement moins de bien et de service, y.c. en réduisant la taille de son habitat, rendra la transition encore plus facile, mais est difficile à imposer aux citoyens.
Dans ce panorama, le rôle de la Chine est devenu central. Grâce à ses capacités d’investissement massives, la Chine a réduit de manière significative les coûts des composants essentiels à la transition énergétique. Elle est devenue un acteur incontournable dans la production de panneaux solaires et d’éoliennes à des prix défiant toute concurrence. Cette réalité soulève la possibilité que la Chine, malgré sa dépendance actuelle au charbon, puisse être l’un des principaux moteurs de la transition énergétique mondiale. De fait pendant le COVID, la Chine a sur investi dans les domaines du manufacturing solaire, batteries, et mobilités électriques, avec en début 2024, des coûts imbattables pour tous les composants de cette transition, et aussi grâce au volume de production mise en place, la possibilité de la réaliser en 25 à 30 ans !
Il est à noter que les batteries jouent également un rôle clé, non seulement dans le transport, mais aussi dans le stockage et la gestion de l’énergie, permettant potentiellement l’utilisation des voitures électriques pour la stabilisation du réseau. Le cas de la Suisse, avec son système hydroélectrique et le pompage turbinage déjà en place, a cependant moins de besoins accrus en batteries que la plupart des autres pays.
1,5Gigawatt
50-70%
20X
Des enjeux économiques forts derrière la transition énergétique
La transition énergétique offre ainsi des opportunités économiques considérables. L’achat de panneaux photovoltaïques, par exemple, est plus avantageux que l’achat de pétrole, d’un facteur vingt (ou vous avez bien lu, 20) d’un point de vue coût des importations par kWh utile. Cela implique des retombées économiques directes pour les économies locales, la valeur économique (par exemple l’installation des systèmes) restant à l’intérieur du pays. La Suisse, avec son engagement envers les énergies renouvelables, illustre le potentiel de cette transition. La nation vise à réduire drastiquement sa consommation d’énergie tout en maintenant un niveau de vie confortable. L’innovation dans le domaine de l’énergie nécessitera une adaptation des compétences professionnelles, comme, pourquoi pas, la reconversion des garagistes en installateurs de panneaux solaires. Et la transition crée également de nombreuses opportunités dans le clean tec, avec des centaines d’entreprises Suisse active, aussi bien dans le solaire, que dans la gestion de l’énergie, ou encore que dans les composants électroniques spécialisés.. La Suisse, avec son modèle de transition, démontre les avantages économiques et écologiques de cette approche, suggérant un avenir prometteur pour les énergies renouvelables à l’échelle mondiale.
A cette échelle, la Chine, avec son approche agressive dans la production de composants et systèmes pour la transition énergétique, va jouer un rôle décisif . Cela va d’ailleurs conduire à un changement géopolitique majeur, opposant la Chine et ses exportations de produits énergétiques aux pays producteurs de pétrole et de gaz, et dépendant de leurs exportations pour leur survie économique.